Donne et reçois !

La soixantaine passée, Doña Gilma vit avec les 2 derniers de ses 13 enfants, Yaqueline - pimpante trisomique d’une vingtaine d’années – et Andrés, un peu plus jeune, surdoué. Ils habitent dans une pièce sans fenêtre de 12 m2 dans un « inquilinato », une grosse maison où chaque pièce est louée à une famille et les placards - de la taille d’un matelas - aux célibataires. C’est dans le quartier de Niquitao, un ghetto de pauvreté au cœur de Medellín. Doña Gilma vend des bonbons et des cigarettes au détail dans les rues de Barrio Triste, pas loin de chez elle. Elle est accompagnée de Yaqueline qui est  une vedette dans le quartier, toujours coquette et joyeuse. Je les ai connus par un ami il y a une douzaine d’année. Nous avons commencé une relation faite de visites, de repas, de fêtes d’anniversaire et de balades. On a soutenu Yaqueline un temps pour aller en atelier de jour et Andrés pour passer son bac. Nous avons rêvé d’Arche en Colombie. D’autres solutions de logement leur ont été proposées mais la famille n’a jamais bougé, peut-être dans la crainte de se couper de leur amis de Barrio Triste. Après un temps, Yaqueline est retournée avec sa mère pour vendre des bonbons. C’est sûr qu’elle devait aider à la vente.

La dernière fois que je l’ai vue, Yaqueline m’a donné une belle leçon de savoir-vivre. J’avais invité la famille à manger chez un ami cuisinier qui nous avait préparé un bon típico (plat très roboratif autour du haricot rouge). J’avais apporté un cadeau pour chacun. Pendant l’apéro, je les pose sur la table. La conversation continue, une demie-heure, personne n’ouvre son cadeau. Qu’est-ce qu’ils ont ? Pourquoi ils n’ouvrent pas leurs cadeaux ? je me demande. Et là, Yaqueline se lève, se quitte la chaîne avec une croix qu’elle porte au cou et me la tends « tenga ». Ensuite ils ont ouvert leurs cadeaux. En un geste, Yaqueline a débloqué la situation. Elle a juste rééquilibré la relation, « nous aussi on a un cadeau pour toi ». Donne et reçois, sinon je deviens l’objet de ta charité.